Gilles Lartigot : société toxique, il est encore temps d’en réchapper

Gilles Lartigot torce nue devant la caméra
société toxique, il est encore temps d’en réchapper - © Dakota LANGLOIS
Par Mathieu Doutreligne publié le
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Interview de Gilles Lartigot par Mathieu Doutreligne pour Bio à la Une. Gilles Lartigot est un citoyen Français vivant entre l’Europe et l’Amérique du Nord, auteur de EAT - Chronique d’un fauve dans la jungle alimentaire, éditions WinterFields, septembre 2013.

Bio à la Une : Dans votre ouvrage, vos deux conseils sont simples : adopter une alimentation saine, biologique, locale et prendre du temps pour s’informer, s’organiser, cuisiner. Quelles sont les mauvaises habitudes de vie qu’il faut corriger pour arriver plus facilement à faire cette transition ?
Gilles Lartigot :
Avant toute chose, il faut se rendre compte de la chance extraordinaire que l’on a en France par rapport à notre culture alimentaire. Cette culture n’est pas partagée par tous dans le monde. Aux États-Unis, par exemple, il est fréquent de manger dans son coin, l’un devant son ordinateur, l’autre devant la télé. Gardons cette habitude de faire des repas en famille. Il faut apprécier ce moment pour communiquer et ne pas regarder la télévision. Éteignez votre écran. De plus, les informations diffusées sur TF1, France 2 ou M6 ne sont pas objectives et rarement utiles à notre quotidien. Ces médias sont possédés par des grands groupes qui n’ont aucun intérêt à nous dévoiler l’information de manière indépendante. Au final, c’est à nous de faire la part des choses, d’aller chercher cette information dissidente.
N’avoir qu’une seule source d’information n’est pas fiable. C’est pourquoi j’encourage les gens à aller chercher l’information de par eux-mêmes. La première chose à faire reste de se débrancher de cette matrice qui nous rend passif.

Bio à la Une : L’homme moderne n’a plus le temps de prendre son temps. Il se sent submergé de travail, pense avoir trop de choses à faire. Les cas de burn-out sont de plus en plus fréquents. Et vous, avez-vous le temps ?
Gilles Lartigot : On dispose tous de 24 heures par jour. Dans ces 24 heures, il faut définir des priorités. Chacun les siennes. Si la priorité d’une personne est sa santé, celle de sa famille, de ses enfants, alors elle doit accorder à l’alimentation une place prédominante. Il faut alors prendre le temps, car bien s’alimenter est une tâche complexe qui demande des efforts. Temps qui va servir d’abord à s’informer, ensuite s’organiser, puis cuisiner. C’est une démarche complète. Certaines statistiques montrent qu’un Français passe en moyenne trois heures par jour devant la télévision, beaucoup moins à cuisiner. Pensez-vous vraiment qu’on manque de temps ? Si notre santé est notre priorité, il faut accorder de l’importance et donc du temps à notre alimentation.

Bio à la Une : Le premier frein au bio est son prix. Inutile de le nier, il a été constaté que les produits bio sont plus onéreux que les autres. Que répondez-vous au consommateur qui argumente : “je ne mange pas bio, car c’est trop cher” ?
Gilles Lartigot :
Le bio est pour moi un terme général. Je fais une grosse différence entre l’agriculture biologique sans produit chimique qu’on va trouver dans les marchés et l’agriculture industrielle qui délivre des perturbateurs endocriniens et facteur de cancer. On peut acheter de la nourriture biologique transformée qui va coûter extrêmement cher, mais qui vient d’où ? Il faut acheter sur les marchés locaux, à des producteurs biologiques. C’est après avoir fait cette démarche qu’on s’aperçoit que ces légumes ne sont pas plus chers que leur équivalent conventionnel. Dans un deuxième temps, il faut penser à revoir son mode alimentaire. Si on décide de manger exclusivement bio tout en continuant à consommer gâteaux, soda ou plats préparés, oui, l’addition va être salée. Il est important de modifier votre mode alimentaire en commençant par intégrer plus de légumes, de légumineuses, en préparant des repas sans viande. On peut se nourrir très sainement en agriculture biologique. Il est également possible de trouver un producteur qui ne sera pas labélisé, mais qui cultivera sans produits chimiques. Il faut savoir que le label bio, en plus de coûter beaucoup d’argent, sert aux producteurs à intégrer des circuits de revente.

Bio à la Une : Stérilisation de l’espèce humaine, baisse constante de la qualité de la nourriture, un environnement naturel qui se dégrade, etc. Les temps modernes sont moroses. Quel est votre plus grand espoir actuellement ?
Gilles Lartigot :
Lorsqu’on détient une information véritable, c’est comme une graine qui germe. Elle amène une prise de conscience. Nous n’avons pas tous le même niveau de conscience et l’une des grandes problématiques liées à l’alimentation est d’avoir la bonne source d’information. Je parle et critique les médias dominants, ceux qui sont financés par la publicité, car dans ce cas de figure l’indépendance est impossible et les messages qu’ils relayent s’en ressentent. C’est notamment l’une des raisons qui me fait apprécier des sites comme le vôtre que j’encourage à consulter régulièrement.

Bio à la Une : Vous êtes à la fois convaincu et convaincant. Quel a été votre déclic ?
Gilles Lartigot :
Dans le cadre de mes enquêtes personnelles, à la recherche de la véritable information, j’ai été amené à entrer dans des élevages industriels. Le premier était un élevage de poulets, le second un élevage de porcs. J’ai vu des choses que je n’aurais pas dû voir. Je me suis rendu compte, non pas de l’horreur présente, mais de la cruauté du mode d’élevage industriel. Véritable électrochoc, cette vision m’a affecté au plus profond de moi. Du jour au lendemain, j’ai complètement arrêté la consommation de viande, j’ai alors totalement modifié mon alimentation.
Dans la suite de mes recherches, je me suis rendu compte de la toxicité des viandes industrielles. Avant, comme tout le monde, je pensais qu’un animal était un filtre, que la viande était bonne peu importe ce qu’on donnait à manger à l’animal. C’est une erreur de penser de telle sorte. Les éléments toxiques restent. Mon rôle est désormais de diffuser cette information qui m’a fait prendre conscience.

Bio à la Une : Votre livre est divisé en deux parties : une première très critique, une seconde plus positive, qui donne de l’espoir et apporte des solutions. Quel est selon vous la meilleure façon de convaincre le grand public ?
Gilles Lartigot :
Au départ j’étais un peu militant. Je cherchais à convaincre. Pour moi c’était un combat. Lors de mes recherches, j’ai rencontré une personne qui a profondément changé mon point de vue. Devin Townsend est un musicien canadien végétarien. Génie musical dans son domaine, il ne souhaite pas convaincre son public à suivre son régime alimentaire, mais préfère le séduire par la musique, afin d’intéresser, pour éventuellement amener certains, avec envie, à comprendre son point de vue lorsqu’il parle de ses choix alimentaires. C’est ce que j’essaie de faire aujourd’hui, modestement. Dédramatiser la situation est une solution, le tout sans culpabiliser les gens.


Illustration - © Erwan STEPHAN

Bio à la Une : Quels produits consommez-vous régulièrement ? Quel est votre régime alimentaire personnel ?
Gilles Lartigot :
Je n’aime pas les catégories, le fait de classer une personne par rapport à son mode alimentaire. Certains jours je suis végétarien, d’autres je suis vegan. Ça amène beaucoup de préjugés de dire qu’une personne est végétarienne. Je pense faire partie de ces gens très conscientisés par rapport à ce qu’ils mangent et vis-à-vis de la problématique actuelle liée à la production alimentaire. Je n’aime pas dire ce que je mange pour ne pas influencer les gens. Chacun ses goûts.
Choisir son mode alimentaire est une forme de résilience. C’est réellement efficace pour combattre des multinationales qui paraissent insaisissables. Je crois beaucoup au pouvoir du boycott. Il faut garder en tête que les industriels sont là pour faire de l’argent, pas pour prendre soin de notre santé. Cet argent là est actuellement dans notre poche. À nous de choisir si on va passer plus de temps chez les producteurs locaux, ou aller au supermarché dans lequel les marges sont élevées. Pour cela il faut prendre le temps et je reconnais que ce n’est pas facile. Loin de là. Il faut avoir le goût de l’effort.

Bio à la Une : Le local est une notion importante dont on ne parle pas assez. Comment vous organisez-vous au quotidien pour manger à la fois bio et local ?
Gilles Lartigot :
Mon premier principe est simple : je ne vais jamais acheter de la nourriture dans les supermarchés. Je n’y suis pas allé depuis maintenant plusieurs années. Lorsque je suis en France, j’habite près de Marseille, à Aubagne, une ville provençale moyenne de 40 000 habitants, où il y a des marchés paysans plusieurs jours par semaine. Ma priorité est de m’y rendre régulièrement, de partir à la rencontre des producteurs locaux et de sélectionner rigoureusement les produits qui composent la majeure partie de mon alimentation. Je connais également d’autres producteurs chez qui je me rends directement. Pour le reste, je fréquente les coopératives et magasins bio.

Bio à la Une : Certains estiment que le bio industriel est le seul compromis possible entre deux mondes qui s’opposent. Y êtes-vous favorable ?
Gilles Lartigot :
Non. Je suis en colère contre le biologique industriel. Il y a des choses qui ne me plaisent guère. En se baladant dans les rayons des supermarchés, on trouve beaucoup de pizzas bio, plats préparés bio, cookies bio. Ce type de plat va coûter beaucoup plus cher et possède un déséquilibre alimentaire. Il faut arrêter d’acheter tout ce qui est inutile à notre santé, qu’on achète généralement par gourmandise. Le tout étant de se faire plaisir avec les aliments sains. Croyez-moi, c’est largement possible.
La problématique globale concerne l’alimentation industrielle. L’élevage industriel a pris une très grande part dans la production de viande, poulet, poisson. C’est ce que je condamne. Qu’une personne mange une volaille de façon conscientisée est différent, c’est-à-dire qu’elle sait ce qu’elle achète, les conditions d’élevage de l’animal et sa nutrition.

Bio à la Une : Vous avez fait preuve de beaucoup de courage dans votre démarche personnelle d’écriture du livre. Vous avez fait votre part. Que conseillez-vous aux autres pour faire la leur ?
Gilles Lartigot :
La première des révolutions est à faire soi-même. Il ne faut pas essayer de changer les autres et il ne faut rien attendre de nos politiques. Parfois on pense ne pas pouvoir agir par rapport à ces personnes qu’on a élues, qui sont au pouvoir et font n’importe quoi. On ne peut pas les défaire de leurs fonctions. À titre personnel, on peut faire quelque chose. Un changement significatif est possible. Chaque personne rencontre des problématiques différentes, qu’on vive en ville, à la campagne, seul ou accompagné. C’est alors à chacun de trouver sa solution, celle qui nous parle. Si vous souhaitez encourager l’agriculture paysanne et biologique, le meilleur moyen est d’aller voir les agriculteurs pour acheter leurs produits afin qu’ils continuent à produire sans pesticides.
Outre l’alimentation, faire sa part est important pour défendre ses convictions profondes, quelles qu’elles soient. Aujourd’hui, il faut faire entendre sa voix, acter ses convictions en étant moins souvent passif devant un écran. On a toujours le choix. Pour changer de vie ou simplement la modifier. Quand je fais à manger, je décompresse. Je me fais plaisir dans ma cuisine avec mon couteau et ma grande planche en bois. Cette notion de plaisir est importante.