Pourquoi l'Allemagne a misé sur le filon vert

Par Bioalaune publié le
2185 lectures

sax/afp - A Bitterfeld, dans l'ex-RDA, une imposante centrale photovoltaïque a été implantée sur le site d'un anciencomplexe chimique.

Solaire, éolien... Bien avant la crise, et avant les autres, le pays a joué la carte des énergies renouvelables. Une dynamique qui profite à ses entreprises et à l'emploi.

C'est une zone industrielle posée en pleine campagne, au fin fond du Land de Saxe-Anhalt, dans l'ex-Allemagne de l'Est. Une enfilade d'entrepôts gris et de bureaux de verre, bordée de parkings tout neufs et plantée d'arbres encore maigrichons. Les sociétés installées là portent des noms futuristes, dignes de jeux vidéo: Sovello, Calyxo, Solibro... Il y a cinq ans, ce site de 77 hectares n'existait quasiment pas. Il a poussé comme un champignon sur les restes fumants d'un gigantesque complexe chimique, à Bitterfeld, près de Leipzig. Aujourd'hui, il se veut l'un des plus grands centres photovoltaïques d'Europe.

A l'origine de cette pépinière qui s'est développée à la vitesse de la lumière, une entreprise phare en Allemagne: la société Q-Cells, première au monde dans la production de cellules solaires. Ses chaînes automatisées, de grosses armoires vitrées que des ouvriers en blouse blanche surveillent 24 heures sur 24, en crachent plusieurs centaines de millions par an.

La "Solar Valley"

Avec 1,25 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2008 (+46% par rapport à 2007), Q-Cells emploie 2500 salariés, alors qu'ils n'étaient que quatre il y a dix ans... Quatre ingénieurs sans le sou, persuadés du potentiel des rayons du soleil pour produire de l'énergie et accueillis à bras ouverts par une région à l'économie dévastée.

Parmi eux, le Britannique Anton Milner. "Les professionnels sont encore étonnés de notre développement spectaculaire, sourit modestement le patron de Q-Cells, un cinquantenaire à l'allure décontractée. Partis de rien, nous sommes pourtant devenus en une décennie le premier employeur de la Saxe-Anhalt."

Effet collatéral de cette croissance exponentielle, le Land compte aujourd'hui une bonne vingtaine d'entreprises ou de laboratoires de recherche spécialisés dans la technologie photovoltaïque, employant au total quelque 3200 personnes. Sacré revanche pour cette région de l'ex-République démocratique allemande, qui brandit volontiers sa "Solar Valley" pour souligner sa modernité.

"Ils ont quinze ans d'avance sur la France"

Elle n'est pas la seule. De Fribourg-en-Brisgau à Dresde, en quelques années, le solaire s'est épanoui outre-Rhin comme tournesol en plein mois d'août: son chiffre d'affaires a bondi de 3 milliards d'euros en 2005 à 8 milliards aujourd'hui, et il fait travailler la bagatelle de 50 000 personnes.

"Dans ce domaine, les Allemands sont de très loin les meilleurs; ils ont quinze ans d'avance sur la France", affirme sans la moindre hésitation Bernhard von Rakowski, promoteur de centrales photovoltaïques dans l'Hexagone, avant d'ajouter: "L'ensemble des énergies renouvelables, qui couvrent 15% des besoins en électricité du pays, constitue désormais un segment établi de l'économie allemande." Une récente étude du cabinet de conseil Roland Berger confirme d'ailleurs le poids de toute la branche "verte" en Allemagne : avec près de 2 millions de salariés, elle représente déjà 8% du produit intérieur brut et pourrait atteindre 14% d'ici à 2020.

Selon les chiffres officiels, un quart des investissements réalisés actuellement outre-Rhin concerne directement ou non la protection de l'environnement - le bâtiment a ainsi beaucoup misé sur l'habitat "greentech".

Certes, la crise se fait sentir: comme beaucoup d'entreprises, Q-Cells a renoncé à établir la moindre prévision de croissance pour 2009. Mais Torsten Henzelmann, l'auteur de l'étude Roland Berger, n'est nullement inquiet: "Les difficultés actuelles ne devraient être que temporaires, alors que l'émergence de l'économie verte est une tendance de fond, analyse-t-il. La main-d'oeuvre touchée par le chômage dans l'industrie traditionnelle se tourne déjà vers ce nouveau secteur, générateur d'emplois."

Au dire de tous les experts, la "nouvelle nouvelle économie" a donc un avenir prometteur: des Etats-Unis au Japon, les programmes de relance lui ont réservé la part belle, et de Kyoto, en décembre 1997, à Copenhague, en décembre prochain, la planète entière réclame des engagements et des outils pour lutter contre le réchauffement climatique.

Dans les scénarios de sortie de crise, l'Allemagne, qui s'est placée avant tout le monde sur la ligne de départ, compte profiter à plein de la dynamique: elle est peu ou prou leader sur à peu près tous les secteurs, du solaire à l'éolien, de la rationalisation énergétique au traitement des déchets.

Et l'essor à venir ne touchera pas seulement ses PME, déjà performantes dans le bâtiment ou la machine-outil: les grands noms de l'économie ont pris le tournant depuis plusieurs années déjà, qu'il s'agisse des producteurs d'électricité (E.ON, RWE), des industriels comme Bosch, BASF ou Siemens, ou même des constructeurs automobiles, qui lambinaient encore il y a dix ans.

Les industriels ont été contraints d'innover

Preuve récente: ce gigantesque projet de parc solaire dans le Sahara, baptisé Desertec, qui doit fournir à terme 15% de l'énergie consommée en Europe, pour un investissement estimé à 400 milliards d'euros. Le consortium à la manoeuvre, réuni pour la première fois le 13 juillet à Munich, à l'initiative de l'assureur bavarois Münchener Rück, regroupe pour l'essentiel des firmes allemandes (E.ON, RWE, Siemens, Deutsche Bank).

Cette audace n'est pas sans rappeler celle des premiers députés Verts, élus au Parlement en 1983, à l'origine d'un texte fondateur: la "loi sur l'approvisionnement en électricité". Entrée en vigueur le 1er janvier 1991, elle imposait aux grands producteurs de racheter au prix fort le courant issu des énergies renouvelables - ce qui permit de subventionner des technologies encore coûteuses. La pression politique se fit plus intense avec l'entrée des "Grünen" au gouvernement en 1998: la sortie du nucléaire, la création d'une écotaxe - renchérissant le prix de l'énergie - ont contraint le monde économique, d'abord réticent, à innover. "Les Verts ont compris qu'un cadre politique rigide était nécessaire, mais pas suffisant, souligne Martin Jänicke, professeur à l'université libre de Berlin. Ils ont collaboré directement avec les industriels, qui, de leur côté, ont vite perçu les avantages d'une utilisation plus rationnelle de l'énergie et des matières premières."

Un modèle vigoureusement défendu par la chancelière allemande sur la scène internationale. Ministre de l'Environnement au milieu des années 1990, Angela Merkel avait un jour fondu en larmes en plein conseil lorsque Helmut Kohl avait sèchement repoussé l'une de ses propositions. Désormais, elle peut apprécier le chemin parcouru. Pour l'Allemagne, green est forcément beautiful.

Par Blandine Milcent, publié le 05/08/2009 17:21 - mis à jour le 05/08/2009 18:01