Bébés génétiquement modifiés : un moratoire pour éviter de nouvelles dérives ?

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Bébés génétiquement modifiés : un moratoire pour éviter de nouvelles dérives ?
Par AFP /Relaxnews publié le

Comment éviter la naissance de nouveaux bébés génétiquement transformés, après le tollé mondial provoqué par un chercheur chinois ? Des spécialistes plaident pour un moratoire sur les techniques de modification du génome, sources de vertigineuses questions éthiques et de débats sans fin.

"Nous appelons à un moratoire mondial sur toutes les utilisations cliniques d'édition du génome humain dans un but reproductif, c'est-à-dire le fait de changer l'ADN dans le sperme, les ovules ou l'embryon pour créer des bébés génétiquement modifiés", écrivent ces dix-huit chercheurs de premier plan venant de sept pays.

Conséquences sur l'espèce humaine

"L'introduction de modifications génétiques (transmissibles d'une génération à l'autre) pourrait avoir des conséquences permanentes et potentiellement néfastes pour l'espèce humaine", mettent-ils en garde, alors que les progrès techniques font peu à peu sortir cette éventualité du seul champ de la science-fiction. Leur appel est publié par la prestigieuse revue Nature, quelques mois après l'onde de choc provoquée par l'annonce de la naissance des premiers "bébés OGM". Le Chinois He Jiankui, mis depuis au ban de la communauté scientifique mondiale, a affirmé fin novembre avoir modifié l'ADN de jumelles pour les rendre résistantes au virus du sida. Parmi les signataires de l'appel figure la Française Emmanuelle Charpentier, l'une des découvreuses de la technique révolutionnaire Crispr-Cas9, utilisée par He Jiankui.

"Moratoire ne veut pas dire interdiction permanente", précise le texte. Il prône "plutôt l'instauration d'un cadre international où les nations, tout en gardant le droit de prendre leurs propres décisions, s'engageraient volontairement à n'approuver l'utilisation clinique de ces techniques que si certaines conditions sont remplies". Ce moratoire ne s'appliquerait pas à l'édition génétique réalisée dans un cadre de recherche, où la finalité n'est pas la naissance d'un bébé. Le texte distingue "l'amélioration génétique" - qui viserait à produire des humains plus résistants aux maladies, plus forts, plus intelligents, voire carrément dotés de capacités nouvelles - de "la correction génétique", qui permettrait d'éviter une maladie due à un gène précis.

"Toute amélioration génétique serait injustifiable aujourd'hui", vu le peu de connaissances sur ses conséquences et les modifications involontaires qu'elle pourrait entraîner. "Tenter de remodeler l'espèce sur la base des connaissances actuelles serait de l'hubris", ce crime d'orgueil de l'Antiquité grecque, assurent les signataires, sans toutefois exclure qu'un pays le fasse un jour.

Craintes pour la recherche

En revanche, "la question de la correction génétique est plus complexe", jugent-ils, en proposant un mécanisme en plusieurs étapes. Les pays devraient d'abord s'engager à ne permettre aucune modification génétique réalisée à des fins de reproduction pour une période de cinq ans, le temps de mener des débats "scientifiques et éthiques" et d'établir "un cadre international".

Passé ce délai, un pays pourrait choisir d'autoriser l'utilisation de ces techniques, mais seulement pour une application bien particulière, comme par exemple lorsqu'il n'existe aucun autre moyen d'éviter une maladie génétique.

Il devrait se plier à plusieurs conditions, dont le respect d'un délai supplémentaire de deux ans entre l'annonce et le début du processus, pour permettre un débat international.

"L'efficacité d'un tel moratoire fait l'objet d'un vif débat dans la communauté de la recherche", souligne Nature dans son édito. De fait, l'appel a été diversement accueilli. Il a reçu le soutien des Instituts de la santé (NIH), organes gouvernementaux américains chargés de la recherche biomédicale. Mais d'autres scientifiques redoutent un coup d'arrêt à des recherches qui suscitent d'énormes espoirs dans le traitement des maladies génétiques.

"Le mot 'moratoire' jette une lumière négative sur les potentialités de l'édition du génome, ce qui aura d'énormes conséquences sur le financement de la recherche", selon la docteur Helen O'Neill, de l'University College de Londres. "Un encadrement légal et éthique existe déjà (...). N'oublions pas que He Jiankui a violé de nombreuses règles", fait-elle valoir.

Les modifications réalisées sur des embryons à des fins de reproduction sont illégales dans de nombreux pays.
Accusée de laxisme après l'affaire He Jiankui, la Chine a annoncé fin février qu'elle préparait des sanctions contre les francs-tireurs de la génétique. Et en décembre, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a monté un groupe d'études sur la manipulation génétique.