José Bové : « Le TAFTA n'aura pas lieu ! »

José Bové, député européen écologiste
José Bové « Le TAFTA n'aura pas lieu ! »
Par Manon Laplace publié le
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Invité à débattre de l’avenir de l’alimentation biologique et des luttes environnementales de notre époque à l'occasion de La bio dans les étoiles (rendez-vous annuel orchestré par la Fondation Ekibio qui propose des débats et conférences autour du bio et de ses enjeux) vendredi 17 avril, José Bové se confie à Bio à la Une au sujet de la bio, de Monsanto, des OGM ou du TAFTA et ses combats pour la planète.

L’environnement est un sport de combat. Et José Bové le sait bien. Eurodéputé et ancien paysan en Gironde, le militant à la moustache a le regard et le langage abrupt de ceux qui ne cèdent pas. Même après quarante ans de luttes.

Syndicaliste paysan engagé puis activiste contre la malbouffe et l’agriculture chimique, José Bové défend aujourd’hui les couleurs des verts sur les bancs d’un Parlement européen qui autorisait 19 nouveaux OGM en avril dernier et négocie actuellement un Traité de libre-échange transatlantique (TAFTA) qui pourrait mettre en branle les acquis agricoles et alimentaires du continent.

Bio à la Une : Peut-on rester optimiste face à l’urgence de la situation environnementale et sociale ?

José Bové : Il y a de vraies victoires. On peut gagner celles en cours. J’ai mené des combats pour lesquels on nous avait assuré qu’on perdrait. Sur les OGM on nous donnait perdant d’entrée en 96 : depuis 2008 il n’y a plus d’OGM en France ! C’est déjà pas mal. Même chose lorsque l’on a démarré la bataille contre le gaz de schiste en décembre 2010. On a obtenu une loi qui fait que l’on n’a pas de gaz de schiste aujourd’hui en France. Qui pouvait croire qu’on réussirait ? Qu’on planterait une loi interdisant la fracturation en six mois. C’était impensable, mais on l’a fait !

L’avenir dépend de ce que l’on en fait. Tant pis pour nous si nous n’agissons pas. Si en revanche on est capable de se lever le matin en ayant conscience de la situation et de se dire que l’on va tout de même essayer, on peut avancer.

Bio à la Une : Manger est-il un acte militant ?

Évidemment ! C’est d’abord un choix essentiel en matière de santé : l’alimentation est la première médecine.

Il faut se rendre compte que le fait de manger, de s’alimenter, c’est un choix. C’est un acte basique, nécessaire et indispensable mais ce n’est pas un acte neutre. Que l’on prenne une pizza surgelée ou que l’on aille à l’AMAP du coin, ce n’est pas le même choix.

On fait un choix quant à son approvisionnement : que ce soit en circuit court ou dans la grande distribution. Au Biocoop ou à carrefour. Que les produits viennent de 2 000 km ou d’à côté. On est clairement sur un choix politique, en ce sens qu’il s’agit d’un choix de société.

Bio à la Une : Comment expliquer le manque de conscience politique par rapport à l’alimentation ?

C’est quelque chose qui vient de loin. Après la seconde guerre mondiale et jusque dans les années 50, on a connu une période de pénurie. Après quoi on est entré dans une période d’abondance, notamment sur le plan alimentaire. L’objectif était d’atteindre le plein emploi pour que les salaires soient dépensés en biens de consommations : télés, radios, bagnoles et le reste. Le budget alimentation est alors passé au second plan. Moins l’on dépensait d’argent pour se nourrir, plus il y en avait pour le reste. Aujourd’hui beaucoup encore considèrent qu’il est plus important d’avoir le dernier Iphone, la tablette ou le grand écran, et l’alimentation reste secondaire.

Je crois que c’est aussi une question d’âge. Beaucoup se préoccupent plus de l’alimentation quand ils commencent à avoir des enfants. Une question d’éducation familiale aussi. Il y a une acculturation très importante au sujet de l’alimentation à l’école comme dans les familles.

Bio à la Une : Quel message adressez-vous à ceux qui relèguent l’alimentation au second plan ?

Il faut leur dire que leur acte pose un problème. Que c’est un problème pour eux. Que c’est un problème pour l’environnement à cause des pesticides et tout ce qu’induit cette agriculture chimique et industrielle. Que c’est un problème en matière de relations internationales entre les pays du Nord et ceux du Sud. On leur dit aussi qu’il existe des alternatives : le développement de la bio, les circuits courts, etc.

Bio à la Une : L’Europe s’oppose majoritairement à la viande clonée. Pourquoi être plus méfiant envers le clonage qu’envers les OGM ?

La plupart des gens ont un cerveau compartimenté. Le clonage pose un problème pour des questions de bien-être animal : il faut énormément d’hormones et le taux de réussite n’est que de 6%. Cela demande un nombre d’interventions absolument gigantesque avant d’aboutir à un résultat. Il implique beaucoup de souffrance pour les animaux. Les bêtes clonées meurent plus facilement, naissent avec des malformations, etc.

Il y a aussi un problème d’éthique au sujet de ce que cela implique en matière de manipulation du vivant. C’est pourquoi nous devrions obtenir une large majorité des deux tiers au pour interdire le clonage lors du vote au parlement. Nous l’avions déjà fait en 2011, mais la Commission européenne revient en force et veut nous réimposer le clonage.

Bio à la Une : Les accords de libre-échange avec les États-Unis (TAFTA) ne risquent-il pas de faire voler en éclat certains acquis européens ?

Mais ils n’auront pas lieu ! On va gagner. Tu as envie de bouffer du poulet aux hormones ? Alors tu vas gagner. Il suffit de se mobiliser. On va continuer tant que les accords actuels ne sont pas à la poubelle.

On ne sait jamais quand un combat va s’achever. Le boeuf aux hormones est une bataille qui dure depuis 1980. Des paysans obligés d’utiliser des produits dont ils ne voulaient pas en ont eu marre et avaient lancé une conférence de presse. Quinze jours plus tard les consommateurs boycottaient le veau aux hormones. Il a fallu attendre 1987 pour avoir une loi qui interdise d’utiliser des hormones et 1989 pour une directive européenne. Ça a failli être remis en cause en 1995 avec la création de l’OMC (Organisation mondiale du commerce - ndlr) et les États-Unis qui nous attaquaient parce que l’on refusait de laisser entrer leur boeuf aux hormones. On a définitivement gagné la bataille qu’en 2012 ou 2013.

Bio à la Une : Monsanto prospère depuis plus de cent ans, comment mettre fin à cela ?

C’est une question de rapports de force. Il faut leur faire perdre de l’argent. Tant qu’ils n’en perdent pas ils s’en foutent. Tu peux faire tous les textes que tu veux. Et pour leur faire perdre de l’argent, il faut leur faire perdre des procès. Ils sont actuellement très emmerdés avec la bataille qu’il y a autour du Round’up. Dans quelques mois en France il y aura un procès qui peut être terrible pour eux. Ça n’a rien à voir avec l’agriculture mais avec l’Agent Orange utilisé au Vietnam. Ça pourrait leur coûter des milliards.

Et d’un autre côté ils diront que les tribunaux français ne sont pas compétents pour ce genre de jugement, comme l’a fait la compagnie pétrolière Chevron avec les Indiens d’Équateur. Elle avait pollué leur territoire et été condamnée à verser neuf milliards de dollars. Mais Chevron n’a pas reconnu ce procès et l’a fait poursuivre aux États-Unis. Ça continue, mais ça fait vingt-et-un ans qu’ils sont là-dessus. Il faut toujours continuer d’enfoncer le clou, et agir !

Bio à la Une : L’un des principaux arguments anti-bio est qu’il ne serait pas suffisant pour nourrir les 9 milliards de bouches attendues en 2050. C’est vrai ?

C’est un argument idiot ! Quand on pense que sur la planète, au Nord comme au Sud le gaspillage alimentaire est de l’ordre de 30 ou 40% de ce qui est produit. On distribuerait toujours plus de nourriture qu’on ne le fait aujourd’hui en réglant ce problème, même si l’on perdait 20% de production en passant au bio. Le gaspillage concerne aussi bien la production que la consommation ou la transformation. De nombreux pays du Sud ont de vrais problèmes avec la conservation des produits parce qu’ils n’ont pas les silos ou les infrastructures adaptés. Le problème du milliard de personne qui aujourd’hui ne mange pas à sa faim n’est pas un problème de quantité. Mais bien un problème de marchés et d’organisation des marchés. C’est un problème de dumping.