Flux instinctif libre : se passer de protections hygiéniques, vraiment possible ?

Flux instinctif et règles
Flux instinctif : pas de protection pendant les règles
Par Elodie-Elsy Moreau publié le
Rédactrice en chef
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Encore peu répandue, la pratique du flux instinctif libre interroge, laisse perplexe ou fascine. Après les polémiques sur le syndrome du choc toxique et à l’heure où les questions environnementales sont plus que jamais d’actualité, certaines femmes décident de se lancer. Le concept : se passer de protections hygiéniques, quelles qu’elles soient, pendant les règles. Alors, utopie ou véritable libération ?

Le Guide pratique du flux instinctif libre (Ed. L’instant Présent) sort en librairie en janvier prochain. Pour en savoir plus sur cette méthode, nous avons interviewé en avant-première son auteure Jessica Spina et la gynécologue Odile Bagot. Regards croisés sur cette pratique qui fait tache… d’huile.

Sans tampon ni serviette pendant les règles, un rêve ?

Le flux instinctif libre (FIL), cela vous parle ? Cette tendance tout droit venue des Etats-Unis a été adoptée par une poignée de blogueuses et youtubeuses françaises il y a quelques années. Aujourd’hui, avec les enjeux environnementaux au cœur du débat politique et sociétal, mais aussi la crainte d’une exposition prolongée à d’éventuelles substances toxiques (via les produits non bio notamment), cette pratique sort progressivement de l’ombre. Elle consiste à se passer de protections hygiéniques durant la période de menstruation. Une manière de réduire ses déchets mais pas seulement. Si certaines femmes mettent en avant des raisons écologiques, d’autres évoquent aussi la peur du syndrome du choc toxique lié aux protections invasives (tampon et cup). Même si, rappelons-le, ce risque est rare et qu’une utilisation adaptée (changement toutes les deux heures et mains propres) réduit les éventuels effets indésirables ou soucis de santé.
Selon Odile Bagot, gynécologue, cette pratique est surtout adoptée pour des raisons "idéologiques ou de réappropration de son corps de femme, quitte à donner un petit coup de canif à sa liberté de mouvement et son confort". Jessica Spina, auteure du Guide pratique du flux instinctif libre et psychothérapeute, apprécie la praticité et le côté hygiénique de cette méthode. "Les protections hygiéniques classiques m’incommodaient, comme c’est le cas pour de nombreuses femmes je pense. J’ai donc commencé à me renseigner sur d’autres méthodes après mes grossesses. J’avais entendu parler de la cup, mais ce n’est pas pour moi, je ne trouvais pas cela pratique. J’ai tout de même essayé un moment, puis un jour, je suis tombée sur une vidéo d’une fille qui parlait du flux instinctif libre. J’ai trouvé cela incroyable ! Je me suis dit, ‘c’est vrai, la nature est bien faite, pourquoi n’y avons-nous pas pensé avant !’ On n’a pas besoin de serviette, de tampon ou encore de cup. Il n’y a pas de macération."

Se reconnecter à son féminin

"Quand j’ai commencé, j'ai voulu m'intéresser à l’histoire des femmes, à celles de leurs règles, et je me suis rendue compte qu’il s’agissait d’un sujet tabou. Je n’ai pas trouvé grand-chose. J’ai donc décidé de mener une étude anthropologique, qui est actuellement en cours auprès d’une trentaine de femmes de tous âges, durant plusieurs cycles", indique la spécialiste du FIL. Pour cette dernière, cette pratique exprimait aussi une nécessité de se reconnecter à son féminin. "Aujourd’hui, de nombreuses femmes ne savent pas vraiment comment leur corps fonctionne réellement. Nous ne sommes pas connectées au bas de notre ventre. En pratiquant le flux instinctif libre, on conscientise cela. On se reconnecte à soi, à son féminin." Adepte depuis près de sept ans, elle accompagne aussi des participantes dans cette démarche au cours de formations. "Quand on le fait avec envie, on apprend à se faire confiance. En se reconnectant à son corps, c’est l’épanouissement garanti."

La clé : la contraction du périnée

Concrètement, comment cela fonctionne ? L’orifice vaginal étant entre deux muscles lisses, il ne possède pas de sphincter. C’est en fait la contraction et le relâchement du périnée qui va permettre aux menstrues de s’écouler ou non explique Odile Bagot. "En étant à l’écoute de leur corps, en apprenant à détecter quand le flux est dans le vagin, les femmes peuvent contracter leur périnée, puis aller aux toilettes pour déverser le sang." Pour y arriver, "il faut être en alerte, très attentive et s’écouter ", précise Jessica Spina. "Au fur et à mesure, l’utérus et la vessie adoptent certains mécanismes. On peut aussi faire des exercices, apprendre à visualiser ce qui se passe dans notre corps, des exercices de respiration ." Mais retenir ce sang destiné à être expulsé n’est-il pas dangereux pour la santé ? "Sans faire de mauvais jeux de mots, lorsque la coupe est pleine, elle déborde ! ", lance Jessica Spina. "J’ai la chance d’avoir un médecin qui s’intéresse à ma pratique. Mon but était aussi de savoir comment cela marchait mécaniquement. Elle m’a donc fait passer des échographies durant mes règles, avant et après être allée aux toilettes. J'ai pu observer qu’en contractant mon périnée, le sang était en fait stocké dans les fornix vaginaux, qui sont des cavités antérieures et postérieures au col de l’utérus."
Un conseil pour débuter en toute sérénité : mettre une protection et faire le test à la maison. "Il est vrai qu’au milieu du cycle, nous avons 1 ou 2 jours de flux abondant, et mieux vaut rester chez soi si possible." Mais cela n’est pas donné à tout le monde. "Si les femmes travaillent, mettre une serviette est plus prudent, du moins au début, pour éviter les accidents et s’installer, si possible, près des toilettes", souligne la psychothérapeute.

Flux instinctif libre : toutes les femmes peuvent-elles y parvenir ?

"Des femmes atteintes de vaginisme peuvent fermer leur vagin de manière extrêmement puissante ", précise Odile Bagot. "Toutefois, cette pratique est surtout accessible aux femmes capables de contrôler leur périnée. Il faut aussi avoir une véritable prise de conscience de l’action qu’on peut avoir sur ce muscle. Car certaines patientes peuvent effectivement avoir une certaine force dans le vagin sans réellement s'en rendre compte. D’autres femmes n’ont pas la commande. Or, il faut le contracter de manière volontaire ! " Votre périnée manque de tonicité ? Une rééducation avec un professionnel peut aider. "Le biofeedback permet d’avoir un contrôle et de muscler son périnée grâce à des exercices. La patiente prend peu à peu conscience de certains mécanismes naturels. Ajoutons aussi que les adeptes du Pilate, qui ont l’habitude de faire des exercices contractant le périnée ont de bonnes aptitudes", indique la gynécologue. La seule chose difficile à contrôler selon elle : le spotting, des saignements légers. "Ces écoulements sont très faibles et ne tachent que le fond de la culotte, donc le risque d’accident est faible", ajoute la spécialiste.

Par ailleurs, la position dans laquelle vous vous trouvez facilite ou corse l’exercice ! "C’est davantage possible lorsque l’on est debout car le vagin est orienté vers l'arrière, 30° à l’horizontal. Il faut éviter de se pencher en avant. En position assise, au contraire, le vagin va se remplir, donc lorsqu’on se lève, il est important de bien contracter pour éviter les fuites." Autre précaution à prendre : au moment de tousser, il faut serrer son périnée. Selon la gynécologue, "c’est plus facile avec une femme qui n’a pas accouché. Elle a naturellement un périnée plus tonique". Mais à en croire l’expérience de Jessica Spina, cela dépend des femmes. "Au bout de 2, 3 cycles, je maîtrisais le FIL, et ce malgré mes trois enfants. D’ailleurs, je n’ai jamais eu recours à la rééducation périnéale, j’ai un périnée plutôt tonique."

Et en cas de règles hémorragiques ?

Sur ce point, nos deux spécialistes ont également un avis divergent. Odile Bagot estime que cette pratique est peu appropriée aux femmes ayant des règles hémorragiques. Sur cette question, Jessica Spina est plus mitigée. Elle considère qu’avoir un flux important n’empêche pas la pratique, elle-même étant concernée. "L’endomètre se décroche de la paroi interne de l’utérus, et libère le flux par moment, mais on a le temps d’aller aux toilettes".  Toutefois, elle avoue que cela peut être un plus contraignant.

Un apprentissage dès les premières menstrues ?

Le flux instinctif libre est encore un sujet marginal. Toutefois, on peut se demander si un apprentissage lors de la survenue des premières règles ne permettrait pas de démocratiser cette méthode, mais surtout de faciliter cette reconnexion à son corps dès la puberté. "J’ai 3 enfants dont une ado de 14 ans", explique Jessica Spina. "Elle a eu ses premières règles, et petit à petit elle apprend à écouter son corps. Bien évidemment, pour le moment, elle porte des serviettes en coton bio pour éviter les accidents, mais elle prend confiance en elle progressivement. C’est aussi un travail de transmission. Les jeunes filles ne savent pas ce qui se passe dans leur corps, car les mères ne le savent pas elles-mêmes."

Venir en aide aux plus précaires

La pratique du flux instinctif libre pourrait également être une alternative intéressante pour les personnes les moins aisées. C’est en tout cas le point de vue de Jessica Spina. "J’ai le projet de mener des formations à destination des femmes en situations précaires", poursuit-elle. D’après le collectif féministe Georgette Sand, au cours de sa vie, une femme dépenserait entre 1500 et 2000 euros en protections hygiéniques. Un montant exorbitant pour les SDF. La question du prix et du non-remboursement de ces produits fait de plus en plus débat. Depuis avril 2018, la mutuelle des étudiants LMDE, qui s’est associée à deux marques proposant des protections saines et écologiques, rembourse les protections hygiéniques de ses adhérentes et aux proches de ses adhérents. Le 24 août 2018, le gouvernement écossais devenait le premier à fournir gratuitement des protections hygiéniques aux étudiantes. Et en 28 juin dernier, l’Angleterre ouvrait le débat sur le coût de ces produits spécifiquement féminins. En France, former les femmes à cette reconnexion avec leur corps pourrait selon la spécialiste aider les plus démunis. Car si des collectes sont régulièrement organisées pour venir aux femmes vivant dans la rue, cela ne suffit pas malheureusement. Mais, une question reste en suspens : l’accès à des sanitaires (autres que ceux publics) peut s’avérer compliquer lorsque l’on n’a pas de chez soi.

 

 

Source(s):
  • Interview du Docteur Odile Bagot, gynécologue (alias Mam Gynéco). Auteure du Dico des nanas, Ed. Hachette
  • Interview de Jessica Spina, psychothérapeute, phytothérapeute et accompagnante du féminin

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