Témoignage : je suis un collapso

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Collapsologie : je suis un collapso
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Par Dorothée Blancheton publié le
Journaliste indépendante
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La collapsologie, ou étude de l’effondrement, fait son chemin depuis quelques années en France. Pour anticiper une décroissance industrielle, certains choisissent de changer de vie. Une décision qui ne fait pas toujours l’unanimité, notamment au sein du couple.

Près de 6 Français sur 10 redoutent un effondrement de notre civilisation, d’après une étude YouGov pour le Huffington Post, réalisée en novembre 2019. Un point de vue qui rejoint les analyses de la collapsologie, un mouvement qui prévoit une possible décroissance de la civilisation industrielle et étudie des issues à cet effondrement. Pour certains collapsos, cette prise de conscience peut se traduire par des changements de vie importants qu’ils partagent avec leur conjoint… ou pas.
Christian, 59 ans, a pris conscience d’un possible effondrement en 1985 ! "Je feuilletais par hasard le Paris Match de ma mère et je suis tombé sur un article qui disait triomphalement que l’Homme avait visité le dernier coin de la planète. Je me suis retrouvé confronté à la finitude du monde. Je me suis dit : 'alors ça y est, c’est fini. Il va falloir gérer ce qu’on a'. Je me suis intéressé à ça plus en détails en lisant les travaux du Club de Rome notamment", se souvient-il.

Une belle réussite professionnelle

Si Christian est Asperger et reconnait ne pas avoir la fibre sociale très développée, en revanche, il fait des études brillantes (math sup, math spé) et devient ingénieur des ponts et chaussées, avec un master spécialisé en urbanisme. "Je ne voulais pas faire de nouvelles routes mais mieux gérer les voieries déjà existantes. Je pensais que les nouvelles technologies allaient nous sauver. Et puis, j’avais une femme et des enfants à élever, un prêt à rembourser…", confie Christian. Malgré son très bon salaire, la crise de 2008 et surtout, l’incapacité de ses supérieurs et de la société à en tirer des leçons l’incitent à changer de vie. Il est alors séparé de sa femme, et les quatre enfants aînés sont majeurs. Il quitte son travail, sa maison. Mais d’un commun accord son ex-femme et lui partent en Inde et y élèvent pendant dix ans leur dernière fille. "On était en concordance là-dessus. Je la bassinais beaucoup avec la fin du monde et notre premier voyage en Inde l’avait touchée. C’est même elle qui a été à l’origine de ce nouveau départ ", se souvient-il.

Une vie transformatrice en Inde

Là-bas, ils rejoignent Auroville, une ville expérimentale, créée en 1968, où chacun essaie de vivre en harmonie, d’être actif au sein de la communauté en faisant également un cheminement spirituel. Christian renoue avec la nature, les animaux, les plantes. Il reprend avec succès la ferme d’Auroville et la convertit au bio en redécouvrant les principes de l’agriculture régénératrice. Il lance un système de paniers et même une « monnaie-temps ». Il se base sur le fait que les peuples premiers travaillent 20 à 25h pour assurer leur subsistance chaque semaine et se nourrir à raison de 3,5 kg de nourriture. Il propose donc aux personnes d’Auroville de cultiver les champs et en échange de ce temps de repartir avec de la nourriture sur la base de 20h pour 7 kg, car derrière chaque actif travaillant dans sa ferme, il peut y avoir un enfant, une personne âgée, handicapée… "Quand on voit le temps qu’on travaille pour se nourrir et vivre en France… on est quand même bien exploités !", lance-t-il. Il renoue avec son ex-femme mais leurs différences se révèlent une fois de plus. "Elle ne supportait pas mon message de finitude du système. Pour nos vieux jours, elle voulait qu’on retourne en France s’acheter une maison avec vue sur la mer. Pour moi, c’était comme une sorte de mouroir. Rester dans l’engagement était trop important pour moi", ajoute Christian. Lassé de faire deux ou trois fois par an des allers-retours entre l’Inde et la France qui occasionnent "un bilan carbone désastreux", et ne se sentant plus à l’aise en Inde, il finit par revenir dans l’Hexagone. "La planète est dans un sale état. Il faut s’engager et désobéir et ça, on ne peut le faire que dans son pays", concède-t-il.

"L’argent ne vaut rien"

Avec sa nouvelle compagne, un projet se dessine en Dordogne. "On essaye de construire notre histoire mais ma radicalité est de nouveau un obstacle dans mon couple. Je n’ai plus d’enjeu patrimonial. Je sais que l’argent ne vaut rien. 99 % de l’argent qui circule ne correspond qu’à de la dette, nos richesses n’existent pas et peuvent s’évaporer. Je suis mort à tout ça et j’en suis ravi car c’était une servitude. Ma compagne a un appartement en région parisienne. Elle va le vendre mais je sais que ça lui est difficile car elle est encore attachée à la société. Il faut accepter de visiter ses terreurs, de mourir à ce qu’on était pour renaître à ce qu’on pourrait être", déclare Christian. La retraite, bien sûr, il a tiré un trait dessus après avoir pourtant bien cotisé pendant vingt-cinq ans.
Pour lui, chacun a deux options : rejoindre sagement les rangs en espérant percevoir une retraite devenue illusoire, ou compter sur la solidarité humaine en faisant sa place au sein d’un groupe qui, une fois que l’on sera trop âgé ou faible, aura assez d’amour pour nous venir en aide. "Il n’y a pas d’argent dans les caisses car la croissance se nourrit de la destruction de la nature. Or, la nature atteint ses limites, et l’énergie vient à manquer", commente celui qui n’a "pas envie de donner une once d’énergie à un système qui nuit à la planète et aux humains". Son avenir ? Il cherche encore mais voudrait recréer des "communs nourriciers", un lieu où un collectif pourrait vivre en autonomie alimentaire et énergétique.