À la recherche du bonheur : interview d'un spécialiste, Gaël Brulé, directeur scientifique de la Fabrique Spinoza

Deux êtres plongent les yeux bandés l'un vers l'autre pour se retrouver
faith © nuvolanevicata
Par CHRYSTELLE CAMIER publié le
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Interview réalisée par Chrystelle Camier pour Bio à la Une.

Diplômé en génie environnemental, Gaël Brulé a co-fondé l'Atelier CMJN, un cabinet d'architectes spécialisé dans le développement durable. Mais c'est aussi le directeur scientifique de la Fabrique Spinoza, think-tank sur le bonheur dans la société. Auteur de nombreux articles sur le sujet et conférencier, il a accepté de nous rencontrer pour nous parler de sa vision du bonheur.

Bio à la Une : Pourquoi un intérêt si prononcé pour le bonheur ? Quel est ton parcours ?

Gaël Brulé : J'ai été amené à vivre de nombreuses années à l'étranger dans le cadre de mes études, puis de mon travail. La Suède, les États-Unis, les Pays-Bas, ces différentes expériences ont développé chez moi un vif intérêt pour les différences de culture. Aussi, lorsque je suis revenu en France et que j'ai co-fondé le cabinet, j'ai entrepris des études de sociologie. C'est en prenant connaissances d'une étude destinée à mesurer le bien-être dans chaque pays que je me suis rendu compte d'un paradoxe : Alors que les pays scandinaves sont en premières positions en terme de Bonheur National Brut, la France arrive seulement 13ème à l'échelle européenne, et 25ème à l'échelle mondiale. Face au décalage entre la qualité de vie des citoyens français et leur perception du bien-être, je me suis demandé pourquoi les français ne se disent pas heureux. J'avais le sujet de ma thèse.

Bio à la Une : Comment as-tu connu la fabrique Spinoza ? Quel y est ton rôle ?

Gaël Brulé : Tout a commencé autour d'un dîner. Alexandre Jost, fondateur de la Fabrique Spinoza, organisait alors des dîners philosophiques entre amis afin de débattre sur le thème du bonheur. Petit à petit, ces dîners ont pris de l'ampleur et des intervenants extérieurs ont été invités à participer. Lorsqu'Alexandre a entrepris la création de la fabrique Spinoza, il s'est mis à la recherche de collaborateurs pouvant apporter leurs connaissances du sujet. Or, il se trouve que le professeur qui suivait ma thèse, Ruut Veenhoven, fondateur de la sociologie du bien-être, était intervenu au cours de l'un de ces dîners philosophiques. Il m'a mis en relation avec Alexandre et aujourd'hui, je suis membre de la Fabrique Spinoza en tant que directeur scientifique. J'analyse les études conduites et je co-dirige également le groupe de travail sur le thème de l'éducation et le bonheur. Nous avons d'ailleurs organisé nos premiers Ateliers du Bonheur à l'école en janvier dernier.

Bio à la Une : Comment définis-tu le bonheur ? Quels sont les critères pris en considération pour l'évaluer ?

Gaël Brulé : Le bonheur n'est pas seulement un état d'esprit. C'est à la fois un sentiment très subjectif et une réalité concrète. Nous estimons qu’il résulte de deux composantes majeures : nos pensées, c’est-à-dire à quel point l’on estime que la vie nous offre ce que l’on souhaite, et nos affects, c’est-à-dire l’ensemble des souffrances et des plaisirs que l’on ressent par rapport à ce qui arrive dans notre vie. De nombreuses études ont été menées pour définir un classement des pays les plus heureux. Pour se faire, des personnes de tous âges et de toutes catégories socio-professionnelles ont été invitées à évaluer leur degré de satisfaction de vie. Les chiffres sont très révélateurs.

Bio à la Une : L'adage dit que « l'argent ne fait pas le bonheur », qu'en penses-tu ?

Gaël Brulé : C'est à la fois vrai et faux. Les études révèlent que plus le PIB d'un pays est important, plus les citoyens se sentent heureux car la qualité de vie y est meilleure. C'est une évidence. Tout comme il est difficile d'être heureux lorsque l'on vit en dessous du seuil de pauvreté. Un minimum de confort et de stabilité est nécessaire pour se sentir bien. Cependant, un des grands ennemis du bonheur est le matérialisme qui génère une insatisfaction permanente.

Bio à la Une : Dans ce cas, qu'est-ce qui rend les gens heureux ?

Gaël Brulé : En premier lieu, se sentir maître de son destin, de ses choix, être conscient de son impact sur son environnement. Les gens heureux sont souvent des personnes qui s'impliquent dans la collectivité à travers un engagement qui peut-être politique, associatif. Et comme je l'ai dit, avoir un certain confort matériel, mais sans le rechercher. Les gens heureux ne sont pas dans la comparaison avec les autres, ils sont dans l'échange.

Bio à la Une : Selon toi, comment peut-on améliorer le bien-être citoyen ?

Gaël Brulé : L'un des principaux objectifs de la Fabrique Spinoza est de faire du bonheur, un projet politique réaliste. Pour cela, nous cherchons à sensibiliser les élus à l'importance du bien-être citoyen en leur fournissant les résultats de nos études. Nous travaillons sur différents axes thématiques tels que le travail, l'éducation, et cherchons ensemble des solutions à mettre en place pour améliorer le sentiment de bien-être des citoyens. Nous sommes persuadés que c'est le sens de l'action qui favorise ce sentiment. D'un autre côté, nous mettons en relation des bénévoles qui souhaitent monter des projets à l'échelle locale.

Bio à la Une : Es-tu heureux ? Qu'est-ce qui te rend heureux ?

Gaël Brulé : Je suis de nature heureuse, mais comme je l'ai dit, l'état d'esprit ne suffit souvent pas. Pour être heureux, il faut agir. Je dirais que mon bonheur est profondément lié au sens que je trouve dans ce que je fais et il se trouve que je m'investis dans beaucoup de domaines. J’ai l’impression de contribuer à quelque chose qui me dépasse largement ; au final, il y a un très bon alignement entre ce que je sais faire, ce que j’aime faire et ce à quoi je contribue. Je suis aussi un hédoniste, j’adore profiter des petits plaisirs que la vie nous offre : marcher, contempler, écrire, un moment social « magique », échanger…

Bio à la Une : Quels conseils donnerais-tu à nos lecteurs pour trouver le bonheur ?

Gaël Brulé : Le bonheur se construit de manière à la fois personnelle et collective. Aligner son bien-être sur le bien-être collectif rend la vie plus riche. Ça signifie sortir de sa zone de confort, aller vers son voisin pour tisser du lien social. Un simple sourire ou une parole aimable à un inconnu est à la portée de tout le monde. Ça peut être un commerçant, une personne qui vous demande son chemin dans la rue, peu importe ! Donner du bonheur aux autres, c'est aussi se donner du bonheur à soi-même.

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