Exploitation, viols et abus : des fraises importées d’Espagne, mais à quel prix ? 

Exploitation, viols et abus : des fraises importées d’Espagne, mais à quel prix ? 
Exploitation, viols et abus : des fraises importées d’Espagne, mais à quel prix ? 
Par Cécilia Ouibrahim publié le
Journaliste
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Agressions, viols, exploitation des femmes… voilà ce qui se cacherait derrière l’importation des fraises d’Espagne. Un véritable scandale écologique et social comme le révèle le titre The Guardian.

S’il n’est pas toujours évident de consommer bio et local, les fraises importées d’Espagne seraient à bannir de votre panier de courses. Dans la région de Huelva, plus de 400 000 tonnes de fraises sont exportées chaque année en direction du Royaume-Uni, de l’Allemagne, ou encore de la France. Durant la saison de la récolte, plus de 20 000 femmes, venues notamment du Maroc, demandent un visa de travailleur saisonnier pour participer à la cueillette de ce fruit. Un système mis en place en 2001 par les gouvernements espagnol et marocain. Cette main d’oeuvre considérable contribue à l’essor de l’industrie d’exportation de la fraise, devenue "l’or rouge" du pays. 

Interrogées par The Guardian, dix femmes marocaines, ayant quitté leur pays pour participer à la récolte de fraises, ont confié leur expérience dans les champs. Un récit poignant sur fond de maltraitance qui révèle des conditions de travail insoutenables dans les exploitations du sud de l’Espagne. Si elles sont nourries et logées, pour 40 euros par jour, ces femmes ont choisi de quitter leur famille le temps d’une saison. Mais ce travail temporaire ne s’est pas passé comme prévu. Certaines d’entre elles sont encore en Espagne, sans nouvelles de leur famille. Privées de nourriture et d'eau lorsqu’elles ne travaillaient pas "assez dur", les femmes ont révélé avoir été forcées à vivre entassées par centaines dans des petits conteneurs sales, partageant douches et toilettes défectueuses.
 


“La pire décision de ma vie”

Entourée des neufs autres femmes, Samira Ahmad a raconté l’enfer qu’elle a subi. Des agressions sexuelles, au trafic d’êtres humains en passant par son exploitation à la ferme où elle a été recrutée, Samira évoque "la pire décision de sa vie". Sa plus grosse erreur, selon elle, est d’avoir alerté les autorités espagnoles. Si la Guardia Civil ne lui a pas porté secours, Samira a également perdu la possibilité de revoir sa famille. "Avant de quitter ma maison, j'étais comme un héros pour tout le monde. Personne dans mon village n'avait jamais eu la chance d'aller travailler dans un pays aussi riche que l'Espagne", confie-t-elle à The Guardian. Cependant, depuis que la police s’en est mêlée, son entourage a appris les accusation d’agressions sexuelles et son mari l’a désavouée. "Pour nous, cet abus était une sorte de mort parce que nous avions été honteux et que nous étions tellement en colère mais aussi effrayés que nos familles le découvrent", déplore-t-elle. 
Incapables de retourner dans leurs pays, leur visa expiré, elles sont réticentes à quitter l’Espagne avant la décision de justice. Samira ainsi que les neuf autres femmes sont sans ressources, abandonnées et livrées à la famine. 

Les Marocaines, des “cibles faciles”

Alicia Navascues, du groupe de défense des droits des femmes Mujeres 24, a déclaré que les Marocaines étaient ciblées en raison de leur vulnérabilité. Les intérimaires "sur le terrain nous ont décrit des conditions de travail déshumanisantes et pénibles, qu’elles doivent endurer, occupées en permanence à s’accroupir avec une seule pause de 30 minutes par jour à une température de 40 degrés sous le plastique des serres", dénonce-t-elle. Et d’ajouter : "Au Maroc, ils recherchent délibérément des personnes peu coûteuses et vulnérables pour faire ce travail, à savoir les femmes rurales ayant de jeunes enfants qui ne comprennent que l'arabe, ne pouvant pas comprendre leurs contrats écrits en espagnol ni faire valoir leurs droits. C'est un système truqué."

Les tribunaux provinciaux d'Andalousie n’ont pas ouvert d’enquête, invoquant un manque de preuves. Malgré les nombreux cas d’abus signalés par les médias, les gouvernements espagnol et marocain nient les dépôts de plaintes. Le gouvernement espagnol a toutefois annoncé qu'il renforcerait les contrôles et les inspections des exploitations agricoles. Pour l’heure, les plaignantes se sont vues accorder des visas de travail temporaires pour des raisons humanitaires, afin qu’elles puissent travailler en attendant l’issue du procès. Si elles ont confié qu’elles perdaient espoir d’obtenir gain de cause, elles déconseillent ce travail dans les champs qui a bousculé leur vie.

 

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