Gilles Lartigot, comprendre la société toxique pour ne pas la subir

Portrait de Gilles Lartigot en pleine réflexion
Gilles Lartigot, comprendre la société toxique pour ne pas la subir
Par Mathieu Doutreligne publié le
4710 lectures

Quatre ans après avoir rencontré Gilles Lartigot pour la promotion de son premier livre devenu entre-temps best-seller, nous avons eu la chance de le croiser une nouvelle fois. Gilles a sorti il y a quelques mois EAT2, un nouvel opus qui dénonce la société toxique dans laquelle nous vivons.

Comprendre pour ne pas subir. Dans cet ouvrage, l’auteur met l’accent sur l’importance d’avoir un esprit ouvert, de ne pas rejeter les personnes aux avis divergents, de faire preuve de compassion, d’essayer de se mettre à la place de l’autre pour faire avancer le débat. C’est bien cela l’idée, débattre tous ensemble pour comprendre le monde dans lequel nous vivons, ne pas le subir et être acteur de son propre bonheur. Malgré nos divergences de points de vue, chacun d’entre nous à un avis intéressant à partager, une pierre à mettre dans l’éveil collectif des consciences.

Bio à la Une : Pourquoi avoir eu envie d’écrire une suite à EAT ? Est-ce une demande de la part des lectures ou une réelle volonté d’informer sur tes nouvelles découvertes ?

Gilles Lartigot : C’était vraiment une volonté de ma part. Si j’écoutais mes lecteurs, j’écrirais un livre tous les six mois. J’ai pris le temps. J’ai étudié des dossiers de près, comme le cas des cancers suite à ma rencontre avec le Dr Nicole Delepine, ou le survivalisme avec Vol West qui reste l’un des piliers central du livre. Deux sujets majeurs à la fois intéressants et d’actualité dont j’avais vraiment envie de faire part aux lecteurs. Ensuite, les choses se sont enchaînées assez vite, j’avais accumulé beaucoup d’informations depuis l’écriture de EAT en 2013. Ma pensée avait évolué.

Gilles Lartigot : C’était vraiment une volonté de ma part. Si j’écoutais mes lecteurs, j’écrirais un livre tous les six mois. J’ai pris le temps. J’ai étudié des dossiers de près, comme le cas des cancers suite à ma rencontre avec le Dr Nicole Delepine, ou le survivalisme avec Vol West qui reste l’un des piliers central du livre. Deux sujets majeurs à la fois intéressants et d’actualité dont j’avais vraiment envie de faire part aux lecteurs. Ensuite, les choses se sont enchaînées assez vite, j’avais accumulé beaucoup d’informations depuis l’écriture de EAT en 2013. Ma pensée avait évolué.

Gilles Lartigot : C’est tout à fait ça. Aujourd’hui, mes intérêts vont au-delà de l’alimentation. En fait ça a été le point de départ de ma prise de conscience. C’est peut-être ambitieux, mais l’une des idées clé du livre est de comprendre la société pour ne pas la subir. Très souvent, trop souvent, on subit notre quotidien. Quand on ne connaît pas bien les règles du jeu, on ne peut pas bien y jouer.

Bio à la Une : Le reproche que je te fais, et que je fais à de nombreux autres, c’est d’être souvent négatif. En te lisant, on a l’impression de vivre dans une société complètement toxique, folle et inhumaine. Pourquoi ne pas relativiser les faits afin de donner une bouffée d’oxygène pour une meilleure prise de conscience de la réalité ?

À titre d’exemple, parlons de la mortalité. Le professeur d’épidémiologie Abdel Omran a divisé en trois grandes étapes la relation de l’humanité avec la mortalité : l’âge de la famine et des épidémies, l’âge du recul des pandémies, l’âge des maladies dégénératives et d’origine humaine. Lorsqu’il détaille la dernière étape, il explique que le fait de se soucier du cancer et des maladies cardiovasculaires est une sorte de bonne nouvelle, car c’est le signe que plus personne ne s’attend à mourir à vingt ou trente ans comme c’était le cas jadis. Un relativisme qui fait du bien. La vie moderne est toxique, oui, mais malgré tout, l’orientation générale est remarquablement positive. Qu’en penses-tu ?

Gilles Lartigot : Il y a encore des enfants qui meurent du cancer aujourd’hui, alors on ne peut pas dire ce genre de chose. Je ne peux pas être d’accord avec ça, c’est juste une analyse sur la mort. Oui on a intérêt aujourd’hui à mourir le plus vieux possible, mais ça n’en vaut pas le coup si on est malheureux toute sa vie. J’espère que les gens prendront conscience qu’ils peuvent participer à leur propre bonheur.

Mettre en avant ce qui va dans la société, d’autres auteurs le font. En étant négatif, j’espère être un électrochoc. On vit dans une société complètement folle, terriblement anxiogène. J’essaie de me mettre à la place des gens qui vivent ça au quotidien. Le fait de le dire, c’est une chose, mais il est encore plus important de comprendre pourquoi la société est devenue telle quelle est. L’histoire est très importante. On vit dans cet état de fait à cause de décisions politiques, la population n’a jamais voulu cette société toxique. Malgré notre démocratie, nous n’avons plus la main pour changer les choses. Voilà ce que je pense.

Bio à la Une : L’autre reproche que je te fais est de parler en tant que consommateur, sans remettre en question la notion de passivité implicite. Est-ce volontaire ? Est-ce trop en demander aux lecteurs ?

Gilles Lartigot : C’est volontaire, parce que mes convictions ne sont peut-être pas les mêmes que celles de mes lecteurs. Je ne veux pas obliger les autres à appliquer les mêmes méthodes que je m’applique à moi-même. Par exemple je suis un fou de culture physique. Ça fait partie de mon quotidien depuis plus de trente ans. Je ne souhaite pas imposer une activité sportive à ceux qui me lisent, je ne souhaite pas imposer une certaine mode alimentaire, je ne souhaite pas non plus imposer telle ou telle habitude de vie. Comme sur la dernière photo à la fin de mon livre, je voulais tout de même fournir des clés de compréhension pour que le lecteur soit en mesure de prendre de bonnes décisions. Je suis bien conscient que pour avancer, il faut du concret. J’ai une grosse base de lecteurs, c’est un gros avantage et, pour le moment, je suis fier d’avoir réussi à les amener avec moi sur d’autres horizons.

Bio à la Une : Dans le grand livre des solutions pour sauver le monde, il y aurait selon toi le survivalisme. Est-ce comme cela que tu vois les choses ?

Gilles Lartigot : C’est exactement cela. Le concept du survivalisme consiste à reprendre son autonomie pour ne pas subir. On est devenu dépendant, notamment de l’État. Bien sûr, c’est de notre faute à titre individuel comme à titre collectif.

C’était très important pour moi de parler des fonds d’urgence, avoir des économies en cas de coup dur, ou développer des résiliences alimentaires pour ne pas subir les coupures du système. Plein de petits conseils pour améliorer notre vie au quotidien. J’ai quelques idées de résilience, sans forcément partir dans les bois ou à la campagne comme Pierre Rabhi et vivre de sa terre.

Je ne crois plus aujourd’hui en la démocratie, car ce sont les médias qui la font, qui imposent leur point de vue. N’oublions pas que les médias parlent au nom de ceux qui les possèdent. Pour moi la télévision a fait énormément de mal. C’est un média qui divertit, qui attise les controverses pour faire plus d’audience, mais qui n’éduque pas. C’est un des messages forts du livre, se détacher de ces médias mainstream sans forcément les abolir totalement, mais en ayant conscience qu’on n’apprend rien en regardant la télévision. Il faut aller chercher son information sur des sites indépendants. Il y a des sites comme le votre, des documentaires, des conférences accessibles sur internet avec des personnes qui nous partagent des informations que l’on ne trouve pas sur les médias mainstream.

Bio à la Une : Tu dois probablement t’intéresser à la collapsologie ?

Gilles Lartigot : Pablo Servigne est quelqu’un qui m’a ouvert les yeux sur beaucoup de choses. J’ai eu la chance de le rencontrer en juin lors d’une faire une conférence commune. Il m’a donné des informations complémentaires concernant l’impact de l’humain sur le réchauffement climatique. Avant, j’étais plutôt climato-sceptique. Il m’a fait changer d’avis. D’autant plus que Pablo est quelqu’un dont j’apprécie la démarche. Oui je m’intéresse à la collapsologie, c’est évident de le faire.

Notes de la rédaction : la collapsologie est une science systémique qui étudie l’effondrement de la société industrielle. Pablo Servigne est le co-auteur avec Raphael Stevens du livre Comment tout peut s’effondrer, paru en 2015 aux éditions du Seuil.

Bio à la Une : Avant cette interview, tu m’as dit être actuellement dans l’état du Montana aux USA avec Vol West, un survivaliste chevronné. Tu t’es de nouveau installé à Montréal avec ta famille. Ce changement de vie est croustillant. Peux-tu nous en dire plus ? Quels sont tes projets actuels ?

Gille Lartigot : Chacun se prépare comme il peut à un possible effondrement global. Il y a des gens qui sont persuadés que tout peut s’effondrer du jour au lendemain et qu’il faut prendre les devants avec certaines formes extrêmes de résilience. Moi je ne vis pas dans la peur. Je vis au quotidien. Je fais en sorte de mener ma vie avec les informations que j’ai en ma possession sans penser à un effondrement total et soudain. Je préfère parler d’effritement. Après je n’ai pas d’enfant pour des raisons personnelles, alors je ne me projette pas sur les générations futures. J’ai demandé à Pablo pourquoi il en avait, car il a deux enfants et ça peut paraître contradictoire lorsqu’on est collapsologue. Lui, dit une chose très juste. Ses enfants vivent dans le monde tel qu’il est sans avoir connaissance du monde qu’on a connu. Personnellement, j’ai une certaine rancoeur par rapport à ce que le monde est devenu. Dans les années 80 on vivait différemment, les rapports humains ont beaucoup changé. La génération actuelle est ancrée dans son époque. C’est à elle de construire le monde de demain. Dans tous les cas, si le monde doit vraiment changer, il ne changera qu’après avoir connu de graves crises, pas avant.

Bio à la Une : L’une des choses que je trouve formidable dans ton livre, c’est lorsque tu parles de soif de connaissances, cette envie de savoir pour bien faire.

Gilles Lartigot : Continuer à apprendre dans un cursus hors scolaire, apprendre par soi-même, c’est une chose très importante pour moi. Chacun doit travailler avec ses qualités en fonction de ses prédispositions. Mais attention à l’omniscience, l’envie de tout savoir sur tout. Je suis en plein dedans en ce moment et il faut faire attention.

Je passe beaucoup de temps à m’informer et je ne prends plus de plaisir à regarder un film, une série. Avec mon épouse, on va de rares fois au cinéma. Et lorsqu’on y va, on prend du plaisir. Il faut se libérer l’esprit, se détendre, et on a choisi de se divertir en apprenant des choses, ne serait-ce qu’un mot nouveau par jour. C’est très important d’augmenter son bagage linguistique. Je peux comprendre l'agressivité de certains lorsqu’ils découvrent une information. Les véganes par exemple. Mais il faut garder la raison. Ça passe ensuite avec le temps.

On a trop de choix dans la vie. En allant rendre visite à Vol West dans le Montana, on est allé visiter un supermarché Walmart. Il était immense. Peut-être 20.000 mètres carrés. J’en ai eu le tournis. Tellement de choses, tellement de choix... L’information c’est pareil. Soit tu es passionné par un domaine et tu vas creuser, parfois toute ta vie, soit comme moi tu es un touche à tout. Dans tous les cas, une des solutions c’est de limiter ses choix. C’est pour cela que j’adore les livres. Quand tu achètes un livre, tu aimes bien le lire jusqu’à la fin. Il va parler d’un ou plusieurs sujets, mais tu restes concentré sur un objet et ça, c’est très important pour moi. La lecture a une place essentielle dans l’instruction.

Bio à la Une : Tu dédies ton livre à ton clan. Peux-tu en dire plus sur le rôle de ce clan dans ta vie ?

Gilles Lartigot : Prenons l’exemple de la viande. Souvent, lorsqu’il y a un changement important dans son monde de vie, comme devenir végétarien, on peut se faire rejeter par sa famille. Il y a une incompréhension. C’est assez démoralisant. Il faut trouver d’autres personnes, car il y a la famille de sang à laquelle on est rattaché pour toujours, et la famille d’esprit, de coeur. Ce clan qu’on peut construire quand on est dans un nouveau paradigme. C’est très important, car on ne peut pas survivre tout seul. On reste des êtres sociaux.

La première décision est de bien choisir la personne avec qui on vit. C’est la décision la plus importante de sa vie. J’ai déjà rencontré des couples qui se sont séparés par rapport à un simple changement de mode alimentaire. Lorsqu’il y a une incompréhension, les choses peuvent devenir dramatiques. Si le couple est solide, c’est différent. L’important est de pouvoir échanger sur des sujets sérieux et d’avoir une entraide. L’entraide est vraiment la clé.

Bio à la Une : Tu parles également d’instinct dans EAT2. Faut-il suivre son instinct pour créer le monde de demain ?

Gilles Lartigot : Oui, ça en fait partie. Il faut pouvoir s’écouter. Écouter son coeur, écouter son corps, ses émotions, ses ressentis. Mais d'abord, il faut se défaire de ses addictions, car on en a tous. Des addictions au divertissement, à la télé, au sucre. C’est un des sujets sur lequel je travaille actuellement.

En tout cas, on peut à notre échelle construire son propre monde. Individuellement on ne pourra jamais changer la société. Je ne crois pas à l’effet de masse, aux manifestations. Je crois beaucoup aux actions concrètes dans notre vie de tous les jours au sein de notre clan. Plutôt que de vouloir changer le monde, il faut être plus humble et changer sa façon de vivre.

 

EAT2 Des morts & des vivants
Chroniques d'une société toxique

Gilles Lartigot

Winterfields Editions

Prix de vente conseillé : 28€

Plus d'info ici.