Cancer : les différentes actions thérapeutiques du régime cétogène

régime cétogène
Régime cétogène et cancer
© Stocklib
Par Magali Walkowicz publié le
Diététicienne-nutritionniste, journaliste et auteure
4556 lectures

Cesser au maximum d’alimenter les cellules cancéreuses, c’est sans doute l’action thérapeutique anti-cancéreuse la plus connue du régime cétogène. Vrai ? Faux ? Peut-on réduire le régime cétogène à cette unique action thérapeutique ? Le point dans cet article.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, faisons un petit point historique sur le régime cétogène, assez mal connu, y compris par les professionnels de santé. Il s'agit d'un régime thérapeutique, qui a été mis en place dans le milieu hospitalier, dans les années 1920. Son rôle était de traiter efficacement des enfants épileptiques.
De nos jours, certains hôpitaux en France, tel l’hôpital Necker à Paris, le proposent encore à de jeunes patients en alternative aux médicaments lorsque ceux-ci sont inefficaces ou génèrent trop d’effets secondaires. Ce régime a donc été mis au point dans le milieu médical,  à destination d'une population fragile  à la fois malade et en pleine croissance. Et aujourd'hui, on a plus d’un siècle d’expérience sur ses effets secondaires éventuels. 

Régime cétogène : les grandes lignes

Trois points caractérisent ce régime qui peut paraître déroutant de prime abord puisqu’il bouscule de nombreuses croyances. Il consiste à 

  • Eliminer tous les aliments qui sont des sources importantes de glucides (le sucre et les produits sucrés, les féculents, la plupart des fruits). Le but est de maintenir la glycémie (taux de sucre sanguin) le plus bas possible ;
  • A majorer les graisses (huiles, beurre, graisse de canard par exemple) et des aliments gras tels les oléagineux ;
  • A consommer une part d’aliments protéinés (viandes, poissons, œufs ou alternatives végétales telles que le soja) adaptée aux besoins du corps (selon l’âge, le besoin de récupération, l’état nutritionnel, l’activité sportive etc.).

Dans un tel contexte, le foie produit des composés appelés « cétones » ou « corps cétoniques » - qui sont au nombre de trois : acétone, acétoacétate et bêta-hydroxybutyrate - à partir des matières grasses. En l’absence de suffisamment de glucides, les cétones servent de carburant aux cellules saines.

Les muscles et les organes peuvent utiliser les cétones pour fonctionner mais ils peuvent également puiser leur énergie directement dans les graisses alimentaires ou les réserves de graisse corporelle. Le cerveau, lui, n’a pas la capacité de « brûler » les graisses efficacement. Lors d’un régime cétogène, il tire donc son énergie essentiellement des cétones. Les globules rouges continuent de tirer leur énergie des glucides. Les cellules cancéreuses quant à elles, ne savent plus vraiment où en puiser.

Pourquoi la majorité des cellules cancéreuses ne peuvent pas utiliser les corps cétoniques ?

Les cellules saines créent de l’énergie pour fonctionner, en brûlant leur carburant (glucose ou acides gras en fonction du régime) qui provient de la nourriture, dans les centrales énergétiques des cellules, « les mitochondries », en présence d’oxygène.

Quand les mitochondries n’ont pas assez d’oxygène à disposition (par exemple, en cas d’essoufflement), vous pouvez continuer malgré tout à courir parce que vos cellules sont aussi capables de produire de l’énergie sans oxygène : par fermentation. Celle-ci permet aux cellules de fonctionner en l’absence d’oxygène. Toutefois, la fermentation ne marche qu’avec le glucose, pas avec les acides gras, ni avec les corps cétoniques.

Les cellules cancéreuses sont des cellules qui ont perdu la capacité de produire de l’énergie par le biais des mitochondries car les leurs sont endommagées. Elles cessent donc peu à peu d’utiliser l’oxygène et passent en mode fermentation pour s’approvisionner en énergie. Ce fonctionnement anormal de la cellule cancéreuse est ce que l’on appelle l’effet Warburg, du nom du chercheur qui a mis à jour ce phénomène. Les acides gras et les corps cétoniques n’étant pas fermentescibles, dans le cadre d’un régime cétogène, il devient donc difficile pour elles de se nourrir. Même s’il reste un peu de glucose circulant dans le sang, il n’est pas suffisant, ce mode de production d’énergie nécessitant un très fort apport en sucre, le rendement étant faible.

Une cellule cancéreuse a ainsi besoin de 20 fois plus de glucose qu’une cellule saine. D’ailleurs, la science parle à ce sujet. Ces dernières ne peuvent plus s’alimenter efficacement, ce qui peut ralentir voire bloquer leur croissance. 1 2. Inversement, un taux élevé de glucose sanguin peut augmenter le risque de cancer dans la mesure où le glucose favorise la prolifération des cellules, qu’elles soient saines ou cancéreuses. Plus le glucose sanguin est élevé, plus la croissance des tumeurs est forte3 4.

A noter : 

Les oncologues se servent de l’avidité des cellules cancéreuses pour le sucre pour visualiser le cancer dans l’organisme via un examen appelé PET-scan.

 

Une des raisons pour lesquelles les protéines ne sont pas surreprésentées dans le cadre d’un régime cétogène est notamment qu’un des maillons des protéines, l’acide aminé appelé glutamine est fermentescible et pourrait aider des cellules cancéreuses à croître. Les chercheurs pensent que si les effets du régime cétogène sont globalement positifs, ils divergent selon le type de tumeurs, certaines y répondant plus favorablement que d’autres. On ne peut pas non plus exclure que le régime cétogène puisse stimuler la croissance de certaines tumeurs, même si cela semble rarement être le cas. Par précaution, par exemple, un régime cétogène n’est pas prescrit dans le cadre de leucémies.

Le professeur de biologie du Boston College, Thomas Seyfried, a réalisé des travaux sur les mitochondries de cellules saines et cancéreuses. Lorsqu’on transplante le noyau d’une cellule tumorale (ayant une mutation génétique) dans une cellule saine avec une mitochondrie saine, la cellule générée ne devient pas malade. Elle reste saine. Tandis que lorsqu’un cytoplasme avec une mitochondrie malade est placé dans une cellule saine, celle-ci devient cancéreuse.Tout ceci montre que les gènes ne jouent pas un rôle clé dans la biologie du cancer. Le cancer découle avant tout d’un dysfonctionnement des mitochondries.

 

Cette vertu thérapeutique a donné sa réputation de régime anti cancer au régime cétogène. Et c’est souvent ce point qui est mis en avant lorsque l’on aborde le sujet. Pourtant il est loin d’être le seul effet thérapeutique à l’œuvre. Le régime cétogène pourrait agir contre le cancer selon plusieurs mécanismes.

D'autres actions thérapeutiques du régime cétogène sur le cancer

La réduction du taux de sucre sanguin tel qu’on l’observe dans le régime cétogène à un niveau bas permet notamment une réduction du stress oxydant car un taux de glucose sanguin élevé augmente le stress oxydant, c’est-à-dire la quantité de molécules corrosives susceptibles d’endommager les tissus et le support du code génétique, l’ADN. Des dommages à l’ADN favorisent les cancers. En abaissant la glycémie, le régime cétogène réduit le stress oxydant. 

Rapport entre stress oxydant et régime cétogène

Selon les études, le régime cétogène augmente le stress oxydant induit par les médicaments de chimiothérapie pour supprimer les cellules cancéreuses, ce qui rend ces traitements plus efficaces. Mais d’un autre côté, il est capable d’activer les défenses antioxydantes dont bénéficieront les cellules saines, en particulier les enzymes antioxydantes catalase, superoxyde dismutase et glutathion peroxydase. C’est intéressant pour préserver les cellules saines des dommages occasionnés par les traitements de chimiothérapie6 7.

 

La réduction du taux de sucre sanguin  permet également une réduction d’hormones et facteurs de croissance favorables au cancer via une réduction du taux d’insuline (hormone sécrétée par le pancréas pour ramener le taux de glucose sanguin à la normale après consommation de glucides). Lorsqu’on passe d’un régime standard à un régime cétogène, le niveau d’insuline est divisé par deux en moyenne chez des personnes en bonne santé8, de 40 % environ chez des diabétiques de type 19 et la sensibilité à l’insuline est jusqu’à 75 % améliorée chez des diabétiques de type-210. L’insuline favorise la sécrétion d’hormones et de facteurs de croissance, en particulier l’IGF-1 (insulin-like growth factor-1) dont les cellules cancéreuses se servent pour proliférer et croître11. Les personnes ayant des taux élevés d’IGF-1 ont plus de risques de développer des cancers.
L’insuline permettrait également aux cellules cancéreuses de sécréter d’autres médiateurs qui stimulent la formation de nouveaux vaisseaux sanguins (angiogénèse) afin que la tumeur puisse s’approvisionner en oxygène et en sucre12.

Moins de marqueurs inflammatoires, une réponse immunitaire favorable contre les tumeurs... 

Outre les éléments déjà exposés, les observations de la littérature scientifique vont encore plus loin. 

  • Les corps cétoniques (qui ne sont présents qu’en cas de glycémie basse) ont des propriétés anticancer in vitro (cultures de cellules) et in vivo (animaux) sur certains types de tumeurs. Ils inhibent des enzymes qui favorisent la croissance et la prolifération des cancers13. Le bêta-hydroxybutyrate est expérimentalement efficace contre les lymphomes, les cancers de l’utérus et les cellules du mélanome. L’acétoacétate inhibe la prolifération de cellules cancéreuses du sein et du côlon. Les deux sont particulièrement efficace contre les cellules tumorales cérébrales notamment celles du neuroblastome (un cancer cérébral de l’enfant) et du gliome14.
  • La cétose induite par le régime diminue l’inflammation, la baisse de nombreux marqueurs inflammatoires en atteste, aussi bien chez l’animal que chez l’homme. La diminution du stress oxydant induit par la glycémie y est pour quelque chose mais aussi les corps cétoniques qui se comportent comme des anti-inflammatoires naturels. Ils inhibent l’inflammation en agissant directement sur les gènes. Le bêta-hydroxybutyrate bloque une partie du système immunitaire impliqué dans plusieurs troubles inflammatoires15. Or l’inflammation chronique est un facteur de risque d’apparition de nombreux cancers16 17 18. Parmi les personnes qui souffrent d’un cancer, celles qui ont un niveau d’inflammation élevé ont aussi moins de chances de survivre19. De plus, l’inflammation réduit l’appétit, entraîne une diminution de la masse musculaire et une faiblesse que connaissent certains malades. En réduisant l’inflammation, le régime cétogène contribue aussi à empêcher la formation de nouveaux vaisseaux sanguins qui irriguent les cellules tumorales car l’un des effets pervers de l'inflammation dans le microenvironnement tumoral est justement de favoriser la vascularisation des cellules cancéreuses20
  • Il favorise la réponse immunitaire dirigée contre les tumeurs. La réponse immunitaire est importante quand on souffre de cancer, et les tumeurs abaissent cette réponse immunitaire dans leur environnement direct. Le régime cétogène change le paysage immunitaire à proximité des tumeurs : au lieu d’un environnement inflammatoire et peu actif contre les cellules cancéreuses, celui-ci devient plus agressif21. Les chercheurs pensent que lorsque du glucose est disponible en quantité, les cellules cancéreuses s’en accaparent, privant les globules blancs (lymphocytes) de cette source d’énergie. Cela expliquerait la baisse de leurs capacités anti-tumorales. En apportant des cétones, comme source d’énergie alternative aux lymphocytes, le régime cétogène leur permettrait de rester actifs contre les cellules cancéreuses. Par ailleurs, les corps cétoniques activent directement plusieurs composants de l’immunité, dont les lymphocytes cytotoxiques, une classe de globules blancs capables d’éliminer des cellules cancéreuses22.

 

Nous ne sommes certes que sur la première décennie d’expérience clinique du régime cétogène dans le cadre d’un cancer mais les résultats sont assez prometteurs. Il serait dommage de se priver de ses bénéfices à ce titre, d’autant que ce que l’on peut dire avec certitude, est que ce régime est très sain et présente un équilibre particulièrement intéressant pour l’organisme. Le fait de prendre entièrement la main sur la nourriture consommée durant la phase de la maladie, comme c’est le cas avec un régime cétogène, permet de prendre en compte tous les besoins de l’organisme, et donc d’éviter un risque de dénutrition et donc d’affaiblissement de l’organisme, malheureusement souvent rencontré dans le cadre d’un cancer lorsque l’alimentation du patient n’est pas encadrée.

Avertissement :

 Entreprendre un régime cétogène dans le cadre d’un cancer doit se faire sous la direction d’un professionnel de santé.

 

A lire pour en savoir plus :

Combattre le cancer avec le régime cétogène, Magali Walkowicz, Thierry Souccar Editions.

Le régime cétogène contre le cancer, Ulrike Kammerer, Thierry Souccar Editions.

 

Source(s):
  • 1 Fine EJ, Segal-Isaacson CJ, Feinman RD, et al. Targeting insulin inhibition as a metabolic therapy in advanced cancer: a pilot safety and feasibility dietary trial in 10 patients. Nutrition. 2012;28(10):1028–1035. doi:10.1016/j.nut.2012.05.001. 
  • 2 Klement RJ, Kämmerer U. Is there a role for carbohydrate restriction in the treatment and prevention of cancer? Nutr Metab (Lond). 2011;8:75. doi:10.1201/b16308-18. 
  • 3 Stattin P, Bjor O, Ferrari P, Lukanova A, Lenner P, Lindahl B, et al. Prospective study of hyperglycemia and cancer risk. Diabetes Care. 2007;30:561-7.
  • 4 Seyfried TN, Sanderson TM, El-Abbadi MM, McGowan R, Mukherjee P. Role of glucose and ketone bodies in the metabolic control of experimental brain cancer. Br J Cancer. 2003;89:1375-82.
  • 5 Thomas N Seyfried. Cancer as a metabolic disease : on the origin, management and prevention of cancer. Hoboken : John Wiley & sons, 2012.
  • 6 Allen BG, Bhatia SK, Buatti JM, Brandt KE, Lindholm KE, Button AM, et al. Ketogenic diets enhance oxidative stress and radio-chemo-therapy responses in lung cancer xenografts. Clin Cancer Res. 2013;19:3905-13.
  • 7 Stafford P, Abdelwahab MG, Kim DY, Preul MC, Rho JM, Scheck AC. The ketogenic diet reverses gene expression patterns and reduces reactive oxygen species levels when used as an adjuvant therapy for glioma. Nutr Metab (Lond). 2010;7:74.
  • 8 Harber MP, Schenk S, Barkan AL, Horowitz JF. Effects of dietary carbohydrate restriction with high protein intake on protein metabolism and the somatotropic axis. J Clin Endocrinol Metab. 2005;90:5175-81.
  • 9 Nielsen JV, Jonsson E, Ivarsson A. A low carbohydrate diet in type 1 diabetes: clinical experience--a brief report. Ups J Med Sci. 2005;110:267-73.
  • 10 Boden G, Sargrad K, Homko C, Mozzoli M, Stein TP. Effect of a low-carbohydrate diet on appetite, blood glucose levels, and insulin resistance in obese patients with type 2 diabetes. Ann Intern Med. 2005;142:403-11.
  • 11 Boyd DB. Insulin and cancer. Integr Cancer Ther. 2003;2:315-29.
  • Lu M, Amano S, Miyamoto K, Garland R, Keough K, Qin W, et al. Insulin-induced vascular endothelial growth factor expression in retina. Invest Ophthalmol Vis Sci. 1999;40:3281-6.
  • 13 Newman JC, Verdin E. Ketone bodies as signaling metabolites.Trends Endocrinol Metab. 2014 Jan;25(1):42-52. doi: 10.1016/j.tem.2013.09.002. Epub 2013 Oct 18.
  • 14 Poff A, Koutnik AP, Egan KM, Sahebjam S, D'Agostino D, Kumar NB. Targeting the Warburg effect for cancer treatment: Ketogenic diets for management of glioma. Semin Cancer Biol. 2017 Dec 30.
  • 15 Youm YH, Nguyen KY, Grant RW, Goldberg EL, Bodogai M, Kim D, D'Agostino D, Planavsky N, Lupfer C, Kanneganti TD, Kang S, Horvath TL, Fahmy TM, Crawford PA, Biragyn A, Alnemri E, Dixit VD. The ketone metabolite β-hydroxybutyrate blocks NLRP3 inflammasome-mediated inflammatory disease. Nat Med. 2015 Feb 16. doi: 10.1038/nm.3804.
  • 16 Sushil Kumar, Christopher J.Chan, Lisa M.Coussens. Inflammation and Cancer. Encyclopedia of Immunobiology Volume 4, 2016, Pages 406-415. https://doi.org/10.1016/B978-0-12-374279-7.17002-X
  • 17 Francescone R, Hou V, Grivennikov SI. Microbiome, inflammation, and cancer. Cancer J. 2014 May-Jun;20(3):181-9. doi: 10.1097/PPO.0000000000000048.
  • 18 Payne JK. State of the science: stress, inflammation, and cancer. Oncol Nurs Forum. 2014 Sep;41(5):533-40. doi: 10.1188/14.ONF.533-540.
  • 19 Bin-Zhi Qian. Inflammation fires up cancer metastasis. Seminars in Cancer Biology. Volume 47, December 2017, Pages 170-176.
  • 20 Mantovani A, Allavena P, Sica A, Balkwill F. Cancer-related inflammation. Nature. 2008 Jul 24;454(7203):436-44. doi: 10.1038/nature07205.
  • 21 Soldati L, Di Renzo L, Jirillo E, Ascierto PA, Marincola FM, De Lorenzo A. The influence of diet on anti-cancer immune responsiveness. J Transl Med. 2018 Mar 20;16(1):75.
  • 22 Cavaleri F, Bashar E. Potential Synergies of β-Hydroxybutyrate and Butyrate on the Modulation of Metabolism, Inflammation, Cognition, and General Health. J Nutr Metab. 2018 Apr 1;2018:7195760.