Nutrition, sommeil et poids : des liens étroits

Liens entre nutrition, sommeil et poids
Liens entre nutrition, sommeil et poids
Stocklib
Par Elodie-Elsy Moreau publié le
Rédactrice en chef
En collaboration avec avec le docteur Chicheportiche-Ayache, médecin nutritionniste à Paris

Si l’on dit que la santé (et la ligne) sont dans l’assiette, elles le sont aussi dans le sommeil. En effet, de mauvaises habitudes de sommeil peuvent directement affecter nos comportements alimentaires et notre poids. Comment expliquer ces mécanismes ? On fait le point avec le docteur Chicheportiche-Ayache, médecin nutritionniste à Paris. Interview.

Bio à la Une : Les liens entre alimentation et sommeil sont nombreux. Pourtant, beaucoup d’entre nous semblent les ignorer. Un chiffre l’illustre bien : 77 % des Français n’ont pas conscience que le manque de sommeil peut entraîner une prise de poids indique l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV) . Comment expliquer cette méconnaissance alors que nous mangeons et dormons tous les jours docteur Chicheportiche-Ayache ?  

Docteur Chicheportiche-Ayache : Ce sont des aspects assez physiologiques et naturels, de ce fait, on ne se pose pas forcément les bonnes questions. Or, il y a un lien direct entre notre sommeil et l’alimentation, de la même façon qu’il y a un lien entre notre poids et notre qualité de sommeil. Ce que l’on va manger dans la journée, et essentiellement au dîner, peut impacter la qualité du sommeil. Celle-ci peut aussi être affectée par l’excès de poids avec le risque d’apnée du sommeil, qui entraîne un état de fatigue. Et c’est un véritable cercle vicieux puisque durant la journée, une personne fatiguée va changer son alimentation avec une propension à choisir des aliments plus plaisants, plus réconfortants, plus caloriques pour avoir de l'énergie. 

Comment se manifeste justement l’apnée du sommeil et comment est–elle diagnostiquée ?

Pour la diagnostiquer, on réalise une polysomnographie chez l’ORL ou le pneumologue, selon leur équipement, qui permet de mesurer l’activité du sommeil durant une heure generalement. Il y a plusieurs causes, mais on la retrouve fréquemment chez les personnes en surpoids et en situation d’obésité. L’apnée du sommeil est une difficulté respiratoire liée à un poids abdominal trop important, qui, en position allongée, appuie sur la poitrine et entraîne l’arrêt de la respiration pendant quelques secondes. Et plus il y a d’épisodes d’apnées durant la nuit, moins celle-ci sera réparatrice. Le sommeil est de mauvaise qualité et entraîne une fatigue importante. De plus, comme les personnes atteintes d’apnée du sommeil respirent mal, il y a une désaturation, c’est-à-dire que le taux d’oxygène dans leur sang à tendance à diminuer.

Si l'obésité et l'apnée du sommeil peuvent être liées, des études ont également concluent qu’un sommeil trop court est associé à un IMC plus élevé et à un risque de diabète plus élevé. Comment cela s'explique-t-il ? 

Il y a une relation directe entre un indice de masse corporelle élevé et un risque de diabète élevé. Le surpoids augmente le risque de maladies métaboliques (diabète, hypertension, maladies cardiovasculaires…).

Autre conséquence possible d’un sommeil trop court : une sécrétion moins importante le soir, de leptine, l’hormone favorisant la sensation de satiété durant notre sommeil. Au final, les sujets dormant peu sont-ils plus sujets à sécréter l’hormone inverse, la grhéline, qui stimule l’appétit et pousse au grignotage…

Tout à fait. Quand on a une nuit qui est trop courte, on n’a pas assez de temps pour sécréter la leptine, qui est une hormone qui va plutôt avoir un effet rassasiant. Résultat : il y a plus de place pour la grhéline, qui est, elle, sécrétée par l’estomac, et a tendance à ouvrir l’appétit. Mais surtout, outre cet effet hormonal, il y un effet comportemental. Une petite nuit est synonyme de fatigue comme je disais précédemment, et celle-ci modifie notre comportement alimentaire le lendemain. On mange des choses qui font plutôt du bien, qui naturellement apportent de l’énergie ;  des aliments plus riches, plus gras ou plus sucrés. J’ai pour habitude de dire à mes patients : quand on est fatigué et que l’on ouvre le frigo, on se jette rarement sur les tomates et les carottes !

Les courts dormeurs, qui ne ressentent pas le besoin de dormir beaucoup pour être en forme, sont-ils plus à risque de surpoids ou d’obésité ? Ou cela n’a pas d’incidence puisqu’ils dorment le temps qui leur faut et ne ressentent pas de fatigue particulière ?

Cela dépend des personnes, mais on sait que les petits dormeurs ont plutôt une tendance à l’embonpoint. Chez eux, le temps exposé au fait de se nourrir et de grignoter est plus long. Les apports énergétiques vont se concentrer sur une période plus large.

Quelle serait selon vous la durée de sommeil idéale pour contrer d’éventuels problèmes de santé et de poids ?

En moyenne, on considère qu’aux alentours de sept heures, c’est plutôt une bonne nuit. Mais il y a de vraies variabilités individuelles. Certains ont besoin de plus de huit heures pour se sentir bien quand d’autres sont capables de récupérer en beaucoup moins de temps.

Une fois qu’on a en tête qu’il faut adopter de bonnes habitudes de sommeil pour avoir de bonnes habitudes alimentaires, sans oublier l’activité physique, il faut connaître les grands principes à suivre pour constituer un repas idéal le soir…

En effet, les choix alimentaires comptent autant que les comportements. Si vous faites un dîner trop lourd, trop volumineux, et que vous allez vous coucher trop tôt par rapport à la prise du dîner, cela crée des conditions de digestion qui ne sont pas optimales. Pour dormir de façon idéale, la température diminue. On perd à peu près 1 degré et c’est ce qui permet de dormir à bonne température.

Or, la digestion fait augmenter la température…

Tout à fait. La digestion, c’est un travail. Il y a une dépense énergétique entraînant la hausse de la température. Cela altère complètement la qualité du sommeil, surtout si le repas est trop gras, trop épicé… Pour éviter cela, on prend un repas léger mais pas trop maigre non plus pour éviter les réveils nocturnes. Il faut aussi attendre au moins deux heures entre le moment de la prise du dîner et le coucher. La raison est simple : lorsque l’on est en position allongée, et que le repas a été trop important, l’estomac et la bouche vont se retrouver sur le même niveau, ce qui favorise le reflux. Encore une situation qui peut affecter la qualité du sommeil.

Quels sont les aliments à privilégier le soir. On sait, par exemple, que ceux contenant du tryptophane, cet acide aminé que le corps ne peut pas fabriquer, sont bénéfiques…

Exactement. Il faut privilégier des aliments riches en tryptophane, qui nous aident à fabriquer la sérotonine, qui est un neuromédiateur très impliqué dans l’équilibre émotionnel, et qui a tendance à nous apaiser. Et cette sérotonine est l’élément précurseur de la mélatonine, qui est l’hormone du sommeil. On va le retrouver dans la banane, l’amande, le chocolat, dans les produits laitiers, des aliments que l’on peut consommer dès la collation au goûter et qui vous nous permettre de mieux sécréter cette hormone du sommeil.  

Le glucose favorise aussi le sommeil. Quels sont donc les sucres à privilégier le soir ?

Il faut plutôt privilégier les sucres lents (ou complexes). On pourra prendre un peu de blé, de riz, de lentilles, de pois cassés, autant d’aliments qui peuvent améliorer la qualité du sommeil. Les féculents sont importants, ce qui n’est pas toujours adapté quand on veut faire attention à sa ligne, mais tout est une question de quantité.

Si les protéines animales contiennent aussi du tryptophane, il faut éviter de trop en consommer le soir ?

Oui, car les protéines nous font aussi fabriquer des neurotransmetteurs qui sont plutôt excitants comme la noradrénaline et la catécholamine qui favorisent l’éveil.

En parlant d’excitants, certains sont accros au café et ne peuvent s’en passer le soir n’estimant pas que leur boisson préférée impacte leur sommeil. Pourtant, selon l’Institut national du sommeil, même six heures après avoir été consommée, la moitié de la caféine est encore dans l'organisme. Cela diminuerait ainsi la période de sommeil long, le plus réparateur. Faut-il donc proscrire une petite tasse le soir ?

C’est très compliqué de répondre. Il y a des gens qui le vivent très bien, et cela ne les empêchent pas de dormir, d’avoir une bonne qualité de sommeil et d’être en forme le lendemain. Au contraire, à partir de 15h, certaines personnes ne peuvent plus en boire car elles n’arrivent pas à s’endormir le soir…

Et qu’en est-il de l’alcool, qui peut entraîner un relâchement musculaire quand chez d’autres, il a un effet excitant également ? Un peu d’alcool au dîner, avec modération bien sûr, favorise-t-il l’endormissement ?

L’alcool est faux ami. Sur l’endormissement, un peu d’alcool peut aider du fait de l’action sédative et même anxiolytique, c’est d'ailleurs le problème des boissons alcoolisées. Mais surtout, elles altérer la nuit. Car il faut bien différencier faciliter d’endormissement et qualité du sommeil. Quand on boit trop, on a une nuit hachée, beaucoup moins récupératrice, avec des réveils nocturnes. Et même chez certains patients des cauchemars.

Certains parents dînent en même temps que leurs jeunes enfants, qui mangent assez tôt, bien avant 20h. Dans ce cas, peuvent-ils prendre une collation dans la soirée pour éventuellement éviter les fringales au cours de la nuit ?

Je propose souvent à mes patients dans ce cas de décaler le dessert à plus tard, notamment un yaourt, les produits laitiers étant riches en tryptophane, aidant à l’endormissement.

D’ailleurs, on parle souvent des vertus du lait chaud pour un bon endormissement.

Oui, absolument. Cela peut aussi être une alternative.

Pour continuer sur le plan des boissons chaudes,  il y a aussi les tisanes bénéfiques pour le sommeil. Quelles plantes conseilleriez-vous ?

Je citerai la célèbre camomille, la passiflore qui sont des plantes qui détendent et peuvent améliorer le sommeil. Mais, elles vont davantage agir sur l’endormissement que sur la qualité du sommeil là aussi. Car il y a l’insomnie qui consiste à avoir du mal à s’endormir et celle de pleine nuit.

Concernant les différents jeûnes, intermittent, réalisé durant quelques, notamment pour mettre l’organisme au repos, ou encore ceux religieux comme le Ramadan où les heures de repas et de sommeil changent complètement, quels aliments privilégier au moment du coucher pour être en forme ?

Il est vrai que la période du Ramadan concentre sur quelques heures toute l’alimentation des vingt-quatre heures. Il arrive que les repas soient trop volumineux. La recommandation que je donne à mes patients est de casser le jeûne avec un petit produit sucré, et puis comme cela l’est souvent dans les traditions, prendre un bouillon et toujours compléter par un sucre lent, un légume et une protéine. Et surtout ne pas manger toute la nuit. Au lever, je conseille souvent du pain, une protéine comme un œuf ou une tranche de dinde, pour aider à lutter contre la faim, un yaourt riche en protéines comme le skyr et une boisson bien sûr. Cela permet d’aborder plutôt bien la journée.

En revanche, il faut selon moi faire attention avec le jeûne intermittent qui peut déréguler la relation à l’alimentation.

Un dernier conseil à nos lecteurs ?

Je dirai qu’il ne faut pas sous-estimer l’importance du sommeil sur sa santé. Il y a de plus en plus de centres du sommeil pluridisciplinaires où l’on s’attarde sur les causes physiologiques, psychologiques des troubles du sommeil.  Par ailleurs, aujourd’hui, les enregistrements du sommeil se font de plus en plus facilement, notamment à domicile. Il faut avoir en tête que dormir bien, c’est prendre soin de sa santé à moyen et à long terme.